19/12/2025 mondialisation.ca  9min #299361

 Pacificateur ou pirate des Caraïbes  ? Trump glorifie le meurtre en haute mer.

Scénario irakien 2.0 : le blocus pétrolier de Washington, prélude à une offensive contre le Venezuela et l'Amérique latine

Par  Marc Vandepitte

Le 16 décembre, Donald Trump a annoncé « un blocus total et complet » de  tous les pétroliers sanctionnés à destination et en provenance du Venezuela. Il affirme que le pays a « volé » du pétrole et d'autres richesses aux États-Unis et souhaite désigner le gouvernement Maduro comme une « organisation terroriste étrangère ».

 Selon Trump, « le Venezuela est entièrement encerclé par la plus grande armada jamais rassemblée dans l'histoire de l'Amérique du Sud ».

Ce blocus s'ajoute à une série d'attaques américaines contre des navires dans la région, officiellement menées au nom de la « guerre contre la drogue ». Pourtant, selon la cheffe de cabinet de Trump, ces actions s'inscrivent dans une campagne visant à renverser Nicolas Maduro. Elle  précise que Trump « veut continuer à faire exploser des bateaux jusqu'à ce que Maduro se rende ». À ce jour, près d'une centaine de personnes ont déjà perdu la vie.

Un scénario connu

Pour justifier cette agression militaire, la Maison-Blanche recourt à  une mise en scène familière. Trump a signé un décret proclamant le fentanyl « arme de destruction massive », affirmant que « les ennemis des États-Unis l'utilisent pour tuer des Américains », bien que cette substance ne provienne pas du Venezuela. Comme en 2003, lors de l'invasion de l'Irak, un prétendu risque sécuritaire est exacerbé pour devenir une menace existentielle.

En Irak, il n'y avait pas d'armes de destruction massive, mais l'invasion a engendré des décennies de chaos. Aujourd'hui, le secrétaire d'État Marco Rubio avertit que l'Iran et le Hezbollah « ont planté leur drapeau » au Venezuela, tout comme on inventait autrefois des liens entre Al-Qaïda et Saddam Hussein.

D'autres responsables politiques martèlent les mêmes slogans : Maduro constituerait une « menace existentielle », tandis que la guerre serait « un jeu d'enfant » censé apporter « la liberté et la démocratie », tel un nouveau « phare d'espoir ».

Les parallèles avec 2003 sont indéniables : une fois de plus, un ennemi est diabolisé, une menace est exagérée et la guerre est vendue comme une opération rapide et libératrice. Seuls les noms et la carte ont changé ; le scénario reste identique.

Les motifs

L'obsession de Washington pour le Venezuela est aisée à décrypter. Aux yeux de la Maison-Blanche, le pays commet trois « péchés » capitaux (cardinaux) : il possède les plus grandes réserves de pétrole au monde (échappant au contrôle américain), il mène une politique étrangère souveraine avec des alliés tels que la Chine, la Russie et l'Iran, et il utilise ses richesses pour financer des programmes sociaux.

Depuis l'élection d'Hugo Chávez en 1998, les États-Unis tentent d'imposer un changement de régime par des sanctions, des tentatives de coup d'État, des pressions diplomatiques et des opérations clandestines.

Mais le Venezuela n'est que le premier domino. Cuba, le Nicaragua, le Mexique, le Brésil et la Colombie sont également visés par des sanctions, des menaces commerciales, des manipulations électorales ou des protestations orchestrées.

Cela s'inscrit dans la nouvelle « doctrine Donroe ».[1] Marshall Billingslea, ancien collaborateur de Bush et de Trump,  affirme que la cible finale est l'ensemble de la gauche latino-américaine, « de Cuba au Brésil, en passant par le Mexique et le Nicaragua ».

L'ancienne cheffe du Southern Command, la générale Laura Richardson, a récemment  admis sans détour les véritables enjeux : le contrôle des immenses richesses minières de l'Amérique latine - pétrole, lithium, or et terres rares - piliers de la puissance militaire et technologique occidentale.

Ces matières premières sont jugées  nécessaires par les États-Unis pour rompre leur dépendance vis-à-vis de la Chine et se préparer à un futur conflit avec cette dernière.

Conséquences dramatiques

Pour le Venezuela, les conséquences de ce blocus sont catastrophiques. Le pétrole est l'artère vitale du pays, représentant au moins  95 % des recettes en devises.

Les récentes sanctions, incluant la saisie d'un pétrolier, compliquent davantage l'exportation du brut. On estime que 30 % des exportations sont menacées, car les armateurs et les acheteurs se retirent par crainte de représailles américaines.

Par ailleurs, la production pétrolière vénézuélienne a chuté de plus de 70 % par rapport à la fin des années 1990, reléguant le pays autour de la 21e place mondiale. Les sanctions dissuadent même les alliés : la Russie et la Chine hésiteront désormais à investir davantage dans le secteur.

 Près de 80 % des recettes publiques risquent de s'évaporer, entraînant des pénuries alimentaires, de transport et de biens de première nécessité, avec pour corollaire une migration massive.

Réactions

Le gouvernement vénézuélien condamne ce blocus, qualifié de « menace  grotesque » et de « piraterie internationale ». Face aux menaces de guerre, le président Maduro a ordonné des exercices de défense nationale tout en appelant au dialogue. Dans tout le pays, milices civiles, police et armée s'entraînent pour protéger les infrastructures.

Malgré la présence des navires de guerre et les sanctions, la vie quotidienne  suit son cours. Dans les quartiers populaires, les conseils de quartier s'organisent. Selon  Anais Márques, « Chávez, comme Maduro aujourd'hui, s'appuie sur un peuple organisé et mobilisé ».  Un sondage de fin septembre crédite d'ailleurs Maduro de 65 % de soutien.

L'historien Miguel Tinker Salas  souligne que « les Vénézuéliens sont déterminés à s'opposer à une intervention américaine » et que même les opposants au gouvernement « ne resteront pas inactifs face au démantèlement de leurs droits ». En Amérique latine, des mouvements sociaux préparent des  brigades internationalistes pour défendre le Venezuela contre l'agression des États-Unis.

Aux États-Unis, la résistance est réelle. Tant l'intervention militaire que le blocus pétrolier inquiètent, car les risques sont jugés gigantesques face à des bénéfices incertains. Environ  70 % de la population s'oppose à une intervention armée.

Lassés par les guerres en Irak et en Afghanistan, les citoyens ne voient pas le Venezuela comme  une menace directe. Même certains républicains estiment que le président ne peut déclencher un conflit  sans l'aval du Congrès.

Et l'Europe ?

N'importe quel autre pays décrétant un blocus pétrolier illégal ou commettant des crimes de guerre se verrait fermement condamné par l'Union européenne. Lors du sommet du 9 novembre entre l'UE et les pays d'Amérique latine et des Caraïbes,  la déclaration commune sonnait creux : « Nous réitérons notre opposition à la menace ou à l'emploi de la force et à toute action non conforme au droit international ».

À l'heure actuelle, cette « opposition » est inexistante. Ni Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, ni Kaja Kallas, Haute Représentante pour les affaires étrangères, n'ont condamné le blocus ou les actes de guerre américains. L'Allemagne s'est contentée de «  prendre connaissance » de la situation, Berlin se bornant à appeler à la stabilité régionale. Un discours qui sonne comme du « bla-bla-bla ».

Les dirigeants européens affirment vouloir une autonomie stratégique vis-à-vis de Washington. Pourtant, au moment décisif, ils retombent systématiquement dans une soumission tenace.

* * *

L'agression contre le Venezuela n'est pas un incident isolé, mais un précédent dangereux qui pourrait entraîner tout le continent dans une spirale de chantage économique et de chaos. Se taire aujourd'hui sur le blocus de Caracas, c'est légitimer demain de nouvelles attaques contre La Havane, Managua, Bogotá ou Mexico.

Il est urgent que les forces progressistes mondiales - syndicats, mouvements sociaux, partis, intellectuels - forment un large front contre cette logique de guerre impériale.

Résister au blocus du Venezuela, c'est lutter pour la paix, la souveraineté et la justice sociale dans toute l'Amérique latine et au-delà.

Marc Vandepitte

Image en vedette : Capture d'écran. Source :  connectas.org

Note :

 mondialisation.ca 1:nh] La « doctrine Donroe » est le surnom donné à l'actuelle politique étrangère de Trump dans les Amériques (jeu de mots entre « Don » et la doctrine « Monroe »). Elle considère l'ensemble du continent américain comme une sphère d'influence exclusive des États-Unis. Elle justifie l'usage de la force - interventions militaires, déploiements navals et pressions économiques - pour freiner l'immigration, le trafic de drogue et surtout l'influence chinoise et russe. Contrairement à la doctrine Monroe originale (1823), qui visait à exclure les puissances européennes, la doctrine Donroe traite la région comme un simple arrière-pays américain élargi.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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